Ou le retour au wwoofing après une longue pause. La découverte d’un bout du sud d’Okinawa. Iriomote et Ishigaki. Planter du riz (noir!) entre la jungle et la mer. L’odeur des feuilles de getto 月桃 coupées. Le sucre noir. Kazushige, Saito, Akira, Yuki, Naho. La cabane au fond du jardin. Le soleil, la pluie, la mer, la nausée, les lucioles et une chauve souris peu farouche !


16 mars. L’idée était de prendre un jour entre mes deux semaines de volontariat sur l’île d’Iriomote, à planter du riz et autres joyeusetés, et le passage à Fukuoka pour « réceptionner » Ornella qui vient me voir au Japon… Un passage éclair par Ishigaki ville où je retrouve quelques combinis, davantage de voitures, de gens, de vie humaine, et même l’éclairage publique ! Une courte transition comme pour mieux sceller le temps, et regarder Iriomote d’un peu plus loin mais pas trop encore. Le petit bateau rapide qui relie Iriomote à Ishigaki m’a donné la nausée comme à l’aller, dans les rues de cette petite ville mes jambes me guident mais ma tête est ailleurs. Ballade tranquille, temps long face à la mer. Je me sens légère, bien plus qu’en arrivant de Fukuoka, une sensation d’espace ! Ce qui se comprend après du temps passé au grand air. Il faudra revenir plus longtemps quand cela sera possible… j’adore me dire que je reviendrai.
Maintenant qu’il est l’heure de partir, assez littéralement d’ailleurs puisque je viens de m’assoir dans l’avion, j’écoute « Shimanchu nu Takara » (le trésor des insulaires) avec un pincement au coeur. Cette chanson réapparaissait quasi tous les soirs dans la playlist de Kazushige-san, mon hôte pour ce volontariat, quand il se versait son premier verre de shōchū avant d’attaquer le dîner (unique vice d’une vie très saine me semble-t-il !). Nous décollons et je m’éloigne… C’était vraiment bien, merci !

Quelques bouts de vie et de souvenirs, avec ou sans chronologie, on verra !
Il y a un peu plus de 2 semaines à Fukuoka, avant la fin officielle des cours, départ anticipé vers les tropiques du Japon. J’avais vraiment hâte et le sentiment qu’en conjuguant volontariat, inconnu, chaleur, et davantage de solitude je retrouverais des sensations et dispositions d’esprit qui m’habitaient davantage auparavant. Pas tout à fait un « autre moi », mais peut être une des facettes de ma personnalité (trop) peu présente pendant cette année d’étude. La partie moins sérieuse, plus libre, riche de temps et affranchie (au moins en partie) de la compulsion d’en faire quelque chose de productif.
En arrivant, depuis l’hublot de l’avion, juste avant l’atterrissage, on voit le spectacle magique des eaux turquoises et des coraux autour d’Ishigaki. C’est la promesse d’un ailleurs encore vierge de souvenirs.
Entre chez moi et le volontariat à la ferme Ohama il y a des heures de transport, le métro, l’avion, le bus, le bateau et encore le bus. Puis c’est l’arrivée accueillie par les aboiements de Yuki, la petite chienne blanche. Mon hôte apparaît. Kazushige-san n’a pas d’âge, son visage est bronzé et avenant, sa tête couverte de cheveux bouclés poivre et sel, à le voir on sait déjà qu’il est gentil. Il me montre ma chambre, la cabane au fond du jardin : système d’eau chaude capricieux mais tranquillité assurée ! J’arrive pile poil pour le dîner en terrasse que l’on partage à 3 avec Saito-san, autre wwoofer et habitant de Fukuoka dont le départ est prévu quelques jours après mon arrivée.

L’ambiance est détendue, et le paysage alentour est magnifique. Kazushige-san dit toujours de prendre son temps : « yukkuri », « bochibochi ». Les week-ends sont libres pour les volontaires et la semaine on travaille à partir de 9h. A Iriomote il y a deux récoltes de riz par an (climat tropical aidant) et la première est plantée en février / mars. Quand il ne s’agit pas de riz, je (micro) désherbe, ce que j’appelle « mon occupation monastique » pour son caractère méditatif et lent, j’arrose, côtoie les poules… J’assiste Kazushige-san dans diverses tâches qui peuvent tout aussi bien être l’accompagner dans son vieux camion, ramasser les petits poissons frétillants (ça chatouille) qu’il lâche sur le sable après les avoir habilement attrapés au filet, aller récolter des feuilles de getto (shell ginger) et les découper pendant des heures pour en faire du thé… Une des potions magiques d’Okinawa.

Mon temps libre est tout à moi et souvent je marche le long de la mer, vers les rizières, les mangroves. Avant le départ de Saito-san je vais un soir avec lui voir les lucioles, car c’est la saison d’une très petite variété d’Iriomote, les himebotaru. C’est une scène digne d’un conte de fée, dans le noir dans la jungle, et tous ces petites points de lumières !
Je dessine un peu, je pose des questions, et j’apprends pleins de choses comme c’est toujours le cas en volontariat : des plantes, des odeurs, des savoir-faire, des particularismes. « Choumeisou » l’herbe de longue vie qui pousse comme la yomogi partout ailleurs au Japon ! Deviner comment dire brouette en japonais et tomber juste. Voir des fleurs de deigo, le symbole d’Okinawa. Kazushige qui parle des oiseaux. Le kuina. Les lilas de perse qu’on voit de loin en regardant les montagnes couvertes de forêt, ou qu’on sent en allant promener Yuki. Des petits poissons qu’on appelle ici « mijun ». Voir une espèce de frelon apporter de la boue et construire un petit nid. Manger du riz de couleur violette. Les petits escargots Tanishi dans les rizières. Quel est le nom de cet oiseau qui vient s’asseoir près de moi sur un banc ? On a le temps d’être curieux et de regarder autour de soi. Ici aussi l’existence suit une forme de routine mais elle est traversée par le bordel, du temps libre, le silence qu’il y a à être loin de la ville et qu’on appelle « silence » faute de nom alors qu’il y a tous ces sons de la nature et tant de vie !

J’avais grandement besoin de cette parenthèse, de découvrir un autre coin, d’autres gens, d’être à nouveau une personne inconnue qu’on peut connaitre, au moins en partie. Je crois qu’on peut dire que je ne regrette jamais d’aller planter (ou récolter) du riz ! Un équivalent personnel à la citation de Jean Giono qu’on m’avait récité après ma première longue randonnée seule : « Si tu n’arrives pas à penser, marche. Si tu penses trop, marche. Si tu penses mal, marche encore ». Il y a aussi ces regards échangés avec une chèvre et une grande chauve-souris, ce sont des regards qui comptent.

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